Le château du Haut-Koenigsbourg, un faux château médiéval ? 
Le château du Haut-Koenigsbourg est un lieu de visite incontournable en Alsace. Nous l’avons redécouvert en août 2020. 
 
Situé sur les premières hauteurs du massif des Vosges, à l'ouest de Sélestat, le château domine la plaine d’Alsace d’une altitude de 757 m.
 
Rapidement un point sur l’histoire de ce château emblématique de toute l’Alsace. 

Le château du Haut-Koenigsbourg a été érigé au XIIème siècle par la famille des Hohenstaufen. Détruit en partie suite à un premier siège en 1462, les Tierstein entreprennent des travaux de reconstruction.
Blason des Tierstein sur le mur du logis
Les Habsbourg, devenus propriétaires, le confient, au cours du siècle suivant, à la famille des Sickingen qui poursuit à grands frais des travaux de modernisation, faisant ainsi du château fort la forteresse la plus moderne en Alsace du milieu du XVIème siècle. 

Pendant la guerre de Trente Ans, l'artillerie suédoise vient à bout des défenses du château et en septembre 1633, après cinquante-deux jours de siège, pillé, incendié et détruit, le château est abandonné. La végétation reprend rapidement ses droits et envahit les lieux.  

Dans un premier temps, les ruines font peur et très peu de gens n’osent s'y aventurer. Au XIXème siècle en revanche, l'intérêt des historiens pour le Moyen Âge et l'engouement des romantiques pour la nature sauvage font du château en ruines un lieu de promenade idyllique. En 1862, ses ruines sont classées Monument historique, puis acquises trois ans plus tard par la ville de Sélestat.  
Mais la commune est incapable financièrement d'assurer la restauration de l'édifice et après l'annexion de l'Alsace par l'Allemagne en 1871, elle offre les ruines du château fort à l'empereur Guillaume II de Hohenzollern, dernier empereur allemand et dernier roi de Prusse, qui rêve de ressusciter l'ancien empire germanique.  

Guillaume II va en confier la restauration à l'architecte Bodo Ebhardt, spécialiste de la fortification médiévale qui le transformera de 1900 à 1908 en forteresse de montagne du XVème siècle. L'objectif des travaux est de créer un vrai musée du Moyen Âge, non une résidence pour l'empereur. Ce grand chantier est aussi un symbole politique. Il doit en effet légitimer la toute jeune dynastie impériale des Hohenzollern et affirmer aux yeux du monde la puissance du nouvel empire.  
Le 13 mai 1908, le château est inauguré. 

En 1919, lors du Traité de Versailles qui met fin à la Première Guerre Mondiale, le Haut-Koenigsbourg devient propriété de l’État français et obtient le statut de Palais national. Il est classé Monument historique en 1993. 

Si le château du Haut-Koenigsbourg a été bâti sur un promontoire rocheux où la montagne culmine à plus de 750 mètres et s'étire - avec une pente parfois abrupte - en direction de la plaine, c’est qu’il forme un observatoire idéal des principales routes commerciales de la région qui se croisaient aux environs de la ville de Sélestat : la route du blé et du vin qui reliait l'Italie aux actuels Pays-Bas et la route du sel et de l'argent reliant les provinces de Lorraine - par les cols de Sainte-Marie-aux-Mines, d'Urbeis et de Steige aux régions germaniques situées à l'est du Rhin. 

Place à la visite à présent!

Après avoir franchi la porte d’entrée et payé notre obole, nous longeons les hautes et puissantes murailles de grès rose, pierre régionale qui donne à l’édifice un air sympathique malgré sa taille. 
Logis sud avec ses latrines et ses oriels. Ensuite logis seigneurial dominé par le donjon carré en arrière plan.
Au passage, un drôle d’escalier nous interpelle. Vous l’avez peut-être déjà vu puisqu’il a été emprunté par Pierre Fresnay dans le film de J. Renoir en 1937, la Grande Illusion.
Sur le portail s’affichent les blasons superposés des familles de Hohenzollern (famille de Guillaume II) et de Charles Quint (famille des Habsbourg) : deux aigles. On peut aussi y lire : «Ce château a été restauré par Guillaume II, roi de Prusse et empereur des Allemands».
Une ruelle médiévale mène dans la cour basse. 
La basse-cour du château est une restitution du XXème siècle des bâtiments nécessaires à l'autarcie du château tels qu’ils existaient avant la guerre de 30 ans. Elle est entourée de deux corps d’habitation avec des cuisines au nord, des appartements confortables au sud, une aile à l’ouest comprenant les grandes salles et un donjon à l’est accessible par un escalier polygonal. La cour est donc le point de rencontre de trois aspects de la vie de château : résidentiel avec les logis et les grandes salles, domestique avec les cuisines et la citerne, militaire avec le donjon. 
  
La fontaine qui s’y trouve est la copie d'une fontaine en grès inspirée d'un modèle Renaissance conservé à Eguisheim.  
L’actuelle auberge servait sûrement à abriter la garnison et les hôtes de passage. Elle a été construite en 1904 par Bodo Ebhardt sur des fondations existantes.
Pour tenir un siège, il fallait aussi un moulin. Conçu par Bodo Ebhardt, le moulin à vent a remplacé vraisemblablement un moulin à bras ou à traction animale. Le moulin et la fontaine ont été placés ici de façon erronée lors de la restauration : leur place est plutôt dans le haut-château où l’on se repliait en cas d’attaque.
La forge, reconstruite en 1904 et transformée à l’époque moderne en magasin de souvenirs, était elle aussi indispensable pour tenir un siège. On y réparait armes et armures, outils et serrures. Elle a servi lors du chantier de reconstruction.
Cette tour permet d’accéder au château-haut. 
Outre le blason des Tierstein, à gauche, il faut remarquer les armoiries des seigneurs de Bollwiller. Un portrait de Bodo Ebbardt a été sculpté sur le montant droit.
La porte d'entrée est surmontée d'un linteau sculpté des armoiries des Tierstein représentées par un cerf, avec la date de 1479 gravée. 
Une succession de portes défensives, les unes plus impressionnantes que les autres, nous mène alors au logis.
L’escalier qui mène au haut-château aboutit tout d’abord à la porte des lions précédée d’un pont-levis et surmontée d'un linteau roman aux armes des Hohenstaufen et d'une poivrière. C’est l’unique accès au logis seigneurial. Avec ses marches irrégulières et ses meurtrières, il a une fonction défensive.
Cet accès est particulièrement bien fortifié, puisqu’il s’agit de la dernière ligne défensive avant le logis. On y trouve deux portes entrecoupées du premier pont-levis et d’un fossé. Celui-ci est dominé par des trappes, des meurtrières et une bretèche.
porte des lions
Au bord de l’éperon rocheux, s’élève la tour du puits creusé dès le Moyen Age. Ce dernier atteint une profondeur de 62,50 m. Plus tard, après 1569, le développement de l’artillerie ayant rendu l’endroit vulnérable, une tour fortifiée a été construite pour le protéger. 
Nous voilà dans la cour intérieure située au cœur du château. Cette cour avait une fonction résidentielle. Elle est entourée de deux corps d’habitations abritant des cuisines, des salles et un donjon.  

Cour intérieure, état avant les travaux 
Les galeries ont été reconstituées en 1904 sur des fondations existantes. Les peintures sont inspirées par des fresques murales du château de Valère à Sion, en Suisse. Lors de la restauration, on a voulu également mettre en exergue la fonction de représentation de cette cour, grâce à cette décoration de fresques évoquant les neuf preux.
Nous entrons dans la cuisine. Une seconde pièce, en contrebas, renferme un tonneau à vin pouvant contenir 8500L, daté de 1670 et provenant de Dambach-la-Ville. Il a été offert à Guillaume II par un négociant en vin de Lahr.
Non loin des cuisines, se situe la citerne couverte d’un petit toit aux tuiles vernissées porté par 4 piliers sculptés qui auraient besoin d’un bon nettoyage. Le toit qui recouvre la citerne est une création de Bodo Ebhardt. 
Elle était approvisionnée soit par l’eau de pluie collectée sur les toitures, l’eau étant amenée par un système de canalisation, soit par portage de récipients venant de l’extérieur du château. 
Il est temps maintenant d’aller voir les salles à l’étage dont l’accès se fait par une belle tour hexagonale de style néogothique.
La tour cache un escalier à vis en grès, restauré en s’appuyant sur une mention de 1558/59 et sur des éléments lapidaires encore en place. Il masque l’accès primitif au donjon, situé en hauteur pour une raison défensive.
La visite commence par le second étage. 
 
Nous entrons dans une chambre lambrissée. C’est celle de l'impératrice. On y voit de coffres de rangement, de tables et chaises, une isolation faite de lambris et un grand poêle en faïence. Ils sont d’ailleurs nombreux dans ce château dit des courants d’air, difficile à chauffer. 
Le poêle est constitué de deux plaques de fonte trouvées lors des fouilles avant les travaux de 1901. 
Suit la salle des fêtes, appelée aussi salle du Kaiser, magnifiquement décorée par des fresques de Léo Schnug, un artiste alsacien, de 1912 à 1914. 
Cette pièce a été agrandie par la suppression de la pièce placée juste au-dessus.
Au dessus de la cheminée, St-Georges terrassant le dragon. 
Sur un mur, un chevalier des Thierstein lors d'un tournoi contre les Rathsamhausen. (œuvre de L. Schnug) 
Et toujours pour le confort, un poêle en faïence, reconstitué avec des fragments trouvés sur place.
Juste à côté, la chambre Lorraine équipée d’une belle cheminée sculptée. 
Au plafond un dragon nous interpelle. C’est le «Graoully» que les Messins connaissent bien. L’animal mythique, vivant dans l'arène de l'amphithéâtre de Metz, aurait dévasté la ville avant d’être chassé au  IIIème siècle par St-Clément, le premier évêque de la ville. Cette légende représente symboliquement la destruction des religions païennes et leur remplacement par le christianisme.
Le mobilier et la cheminée de cette pièce sont des cadeaux de la Région Lorraine à Guillaume II.  
 
Comme dans tout château fort, nous trouvons ici une chapelle qui s’élève sur deux niveaux.
Nous accédons au 1er étage où se trouve la salle des trophées
et arrivons à la salle d’armes où sont présentées différentes armures, arbalètes, hallebardes et épées.
Le poêle est la copie d’un poêle en céramique vernissée verte avec siège chauffant incorporé qui provient de la forteresse Hohensalzbourg. Remarquez les pieds qui le soutiennent.
Au second étage, une première chambre des dames où se trouve le seul lit du château, un lit à baldaquin du XVème siècle et un poêle à carreaux reconstitué. La porte à côté du lit cache les latrines.
La seconde chambre des dames s’ouvre vers l’extérieur par un oriel. Elle renferme pas moins de 2 armoires dont l’une est composée par 2 coffres superposés.
Armoire à sept colonnes réalisée par les compagnons menuisiers de Strasbourg
D’autres pièces suivent avec encore des armoires et des poêles. 
 
Après cette visite du logis, il est temps d’aller voir le bastion en passant le pont-levis qui surplombe la fosse des ours et qui donne sur le haut-jardin ou jardin supérieur. Ce jour-là s’y tenaient des stands présentant la vie au Moyen Age.
Ce bâtiment médiéval, défensif, construit pour servir de bouclier est flanqué de deux tours d'où l'on peut observer la plaine d'Alsace et les Vosges. C’est la partie la plus vulnérable du château. C’est pour cela qu’elle a été renforcée pour la défense par deux plateformes d'artillerie dans les deux tours rondes.
On y accède par un nouveau pont-levis. Elles sont équipée de copies de canons montrant l’évolution de l’artillerie du XVème au XVIIème siècle.
Fauconneau, canon du XVIème siècle
Nous avons le donjon carré en ligne de mire. Il ne servait pas de résidence mais il avait avant tout une fonction d’observation et d’ultime refuge. Actuellement, le donjon est plus haut qu’à la fin du XVème siècle. Avec ce symbole, Guillaume II voulait exprimer sa puissance. Sur son toit, on distingue un aigle, symbole de l’empire allemand. L’aigle a été posé en 1906 pendant la restauration du château. Guillaume II y a fait enfermer un parchemin expliquant les travaux qu’il a entrepris.
Devant le donjon, la demeure seigneuriale. 
demeure seigneuriale
Façade sud – Vue sur le chemin de ronde couvert, le palais seigneurial et le donjon avec la base du château qui épouse la forme du rocher.
vue sur l’entrée
Vue plongeante sur le chemin de ronde et l’entrée du château.
Chemin de ronde
En redescendant, nous traversons les casemates puis nous débouchons sur les lices. Elles sont bordées à gauche par le mur d’enceinte, à droite par le chemin de ronde couvert.
Nous arrivons à la fin de notre visite.

Alors château du XIIème siècle ou pas ? That’s the question …  
 
Bodo Ebhardt, berlinois passionné par la restauration de châteaux médiévaux, auto-formé à l’architecture et proche de l’empereur a proposé de restaurer la ruine en tenant compte d’éléments historiques, archéologiques et architecturaux. Pour les ajouts, il a consulté des documents d’époque et lorsque les sources manquaient, il a procédé par comparaison avec d’autres édifices européens. C’est ainsi par exemple qu’il a imaginé une partie des toitures disparues. 
Pour ce chantier colossal, ce ne sont pas moins de 32 000 fragments de pierres du XIIème au XVIIème siècle qui ont été retrouvés et réutilisés. 

Mais suffit-il de récupérer des éléments d’un château pour le reconstruire à l’identique et donner aux générations futures une image réelle et juste de ce qui a été ?
 
Si l’on en croit la théorie de Viollet-le-Duc pour qui, "restaurer un bâtiment n’est pas le préserver, le réparer ou le reconstruire", mais obtenir un résultat historique et architectural cohérent, Bodo Ebhardt n’a pas fait ce qu’il fallait car on relève trop de détails anachroniques dans la "reconstruction", à commencer par la présence de certains éléments comme le puits, le moulin ... qui ne sont pas à leur endroit d’origine, un escalier néogothique qui trône au milieu de la haute-cour et qui malgré sa beauté jure au milieu d’un château médiéval. 

Dès l’inauguration en 1908 de la fortification, après sa restauration éclair - 8 années pour transformer un champ de ruines - la question s’est posée et ses détracteurs dont Otto Piper, auteur de la Burgenkunde (la première étude scientifique générale des châteaux allemands) et rédacteur en chef du journal Le courrier du Bas-Rhin, en tête, s’en sont donné à cœur joie relevant maintes erreurs en commençant par la forme et la hauteur du donjon rehaussé lors de la restauration. Pour certains, il aurait été rond et moins haut.  

Hansi, de son vrai nom Jean-Jacques Waltz, illustrateur alsacien et français, caricaturiste, vouant une haine féroce aux Allemands n’est pas en reste. Dans Die Hohkönigsburg im Wasgenwald und Ihre Einweihung, il tourne en satire l’inauguration du château.  
« Il serait indigne d’un ouvrage aussi sérieux que celui-ci de prendre part à la discussion qui s’est élevée, sur le point de savoir si le donjon du Haut-Koenigsbourg a été autrefois rond ou carré. L’art allemand et la science allemande ont décidé que le donjon était carré, donc il était carré en effet. Quand bien même il aurait été rond dans la réalité, l’architecte allemand ne saurait devoir s’en préoccuper. Car, en ce cas, le forme ronde et molle de l’ancienne tour serait due à l’influence néfaste des constructeurs français. Toute chose vraiment belle et vraiment allemande est carrée dès l’origine. La forme du crâne germanique est là pour le prouver. Un architecte vraiment allemand n’a pu concevoir qu’une tour rigoureusement carrée.” 

dessin de Hansi
Lorsqu’on lit la nombreuse littérature à propos du Haut-Koenigsbourg, l’on se rend compte que pour certaines personnes, le château rénové est bien un château médiéval. 
 
Et que dire à propos des enfants à qui l’on présente une fortification médiévale qui n’en est pas vraiment une. 
 
Même si l’on sait que les châteaux forts, s’ils ont résisté aux ravages du temps et des assaillants, ont été transformés par leur propriétaires successifs en demeures plus confortables et s’éloignent ainsi de plus en plus de leur vocation première à savoir la défense. 
 
Pourquoi n’avoir pas restitué alors l’ambiance et l’environnement supposés d’une demeure médiévale, comme l’a fait Viollet-le-Duc pour le château de Pierrefonds ? 
 
Il faut aussi se poser la question de savoir pourquoi l’architecte a pris des libertés dans la reconstruction d’un château du XVème siècle. 
 
La réponse a été donnée en préambule. Ce grand chantier était avant tout une opération politique. Guillaume II avait besoin d’obtenir une légitimité vis à vis des siens mais aussi de la France annexée. L’empereur était un homme complexé. Sa naissance difficile lui a laissé un handicap irréversible : son bras gauche, paralysé, est plus court ! À cause de cette infirmité, son enfance a été entachée par les souffrances, les opérations, les humiliations venues de sa propre famille qui l’appelle “l’estropié”, une impossibilité de monter à cheval ... Cela fera de lui une personnalité instable. 
 
En tant qu’empereur, il a besoin aussi d’assoir le tout jeune empire né en 1871. 
 
Il n’habitera jamais le château se contentant de brefs passages. 
 
Il a juste dans l’idée de transformer le Haut-Koenigsbourg en un musée glorifiant le monde médiéval allemand… en grande partie aux frais des Alsaciens puisque le chantier coûtera la modeste somme de 5 millions de marks. 
 
Qu’importe alors que le donjon soit plus haut qu’à l’origine, que les toits aient pris quelques libertés, que certains éléments se soient retrouvés ailleurs qu’à leur place … 
  
L’interprétation n’est pas la réalité, elle n’est pas objective. 
 
Quelques décennies plus tard, en 1964, la Charte internationale de Venise proscrit tous les ajouts non vérifiés et stipule que «la restauration s'arrête là où commence l'hypothèse». 
  
Pour terminer, ne le nions pas, le Haut-Koenigsbourg est un beau château, attirant à juste titre les foules car bien restauré mais il n’est pas le reflet exact de l’époque médiévale.