L’arrière-saison est toujours très belle en Alsace et nous profitons d’un week-end ensoleillé pour aller dans le Nord de la région que nous ne connaissons pas très bien. Au delà de la forêt d’Haguenau, on entre dans l’Outre-Forêt. Première halte à Wissembourg où nous trouvons une place près des remparts. Après le repas, nous partons à la découverte de la vieille ville romane. Nous accédons aisément au centre ville en longeant la Lauter. A l’extrémité ouest du Bruch, une petite porte d’eau enjambe la rivière. On se dirait aux Pays-Bas ! Edifiée en 1748, elle abrite l’écluse permettant de renvoyer l’eau de la rivière vers les fossés de l’enceinte. A quelques pas de là, la tour des Hausgenossen de 1420 permettait de surveiller l’ancienne porte de Bitche ou Obertor, supprimée au XVIIème siècle. Initialement en forme de fer à cheval ouvert sur le Bruch, elle n’avait pas de toit. Adaptée à la fin du XVIème siècle aux armes à feu, elle s’orne alors de deux frises de mâchicoulis et d’éléments sculptés.
Nous sommes dans le faubourg de Bitche appelé aussi « s’ Bruch », autrefois très marécageux, il s’est constitué autour du prieuré St Michel dès l’an 800. Puis au moyen-âge, ce sont les vignerons qui ont pris possession du quartier comme l’attestent les serpettes qui fleurissent sur les linteaux des portes. Certaines maisons sont joliment décorées. Celle de l’ami Fritz, construite en 1550, porte ce nom car elle a servi de toile de fond en 1932 au générique du film tiré du roman d’Erckmann Chatrian. La porte mêle les styles gothique tardif et Renaissance.
Nous continuons à longer la Lauter. Il reste encore le mur de l’ancienne abbaye auquel est accolé un lavoir. Douchka irait bien se baigner et il faut éviter de s’approcher de l’eau. Nous approchons du centre ville. La maison du sel se repère de loin à son haut toit percé de lucarnes. Le poids des années en a déformé la structure. D’abord hôpital au XVème siècle, puis boucherie, cette imposante maison a servi à partir du début du XVIIème siècle à entreposer du sel avant de devenir propriété privée à la Révolution. Les greniers ont servi de séchoirs pour le houblon. Sur un coin de pelouse, des crayons géants, du mobilier scolaire, un tableau et un boulier rappellent que la rentrée scolaire n’est pas encore très loin. Décidément l’école me poursuit ! Les rues sont très animées mais nous ne croisons pas beaucoup de Français. C’est plutôt la langue de Goethe qui se pratique ici. La frontière n’est pas très loin. Nous revenons sur nos pas en suivant les remparts aménagés pour la promenade et arrivons à l’Eglise Saints Pierre et Paul, bâtie en grès qui se repère de loin à cause de ses clochers de style différent. L’un, carré recouvert de tuiles vernissées, date de l’époque romane, l’autre, au toit recouvert d’ardoise est de style gothique. Sur le clocher roman, on distingue un cadran solaire.
L'église Saint Pierre et Saint Paul est la deuxième église, en superficie, d'Alsace, juste après la Cathédrale de Strasbourg. Le début de sa construction date de l'époque romane. C’était l’ancienne église d'un monastère bénédictin fondé vers 660 presque totalement détruite lors de la Révolution et utilisée comme magasin à fourrage. Il ne reste plus grand-chose de l’édifice originel. Néanmoins, les vitraux du choeur ont été sauvés. L’orgue Dubois du XVIIIème est très dégradé et fait l’objet d’une grande restauration. Elle a été vidée de ses tuyaux. Le St Sépulcre du XVème siècle a été mutilé lors de la Révolution et remplacé au XIXème par un gisant. Accolé à l’église, au nord, un cloître du début du XIVème siècle est resté inachevé sans voûtes et abrite une série de dalles funéraires, tombes des abbés du XIVème et XVème siècles ainsi que des sarcophages du Xème et XIème siècle. Au-dessus de l’une des portes, on remarque un tympan de la nativité dont les têtes ont été martelées à la Révolution. La chapelle romane dédiée à St Willibrord présente de belles colonnes à fûts monolithiques et chapiteaux cubiques. Elle sert actuellement de lieu d’exposition. Ma découverte se fait en musique. En effet, les jeunes revenus des JMJ de Madrid préparent la messe de retour. A côté, la maison des chanoines construite après 1770 pour abriter les chanoines de la collégiale a été transformée en logements privés. Même si nous pouvons passer la nuit à Wissembourg, nous décidons d’aller à Betschdorf sur l’aire de service. Il fait chaud et il est agréable de pouvoir s’installer à l’extérieur ce que nous ne faisons pas en ville. Il y a déjà deux camping-cars garés mais il y a de la place et nous en profitons pour nous détendre en sortant table et chaises. Nous consacrons la matinée du dimanche à visiter l’un des villages alsaciens classés depuis1969 parmi les "plus beaux villages de France" : Hunspach. La particularité de ce bourg, plein de cachet et où le temps semble s’être arrêté, ce sont ses maisons à colombages. Elles sont quasiment toutes identiques avec un toit à pans coupés ou " nez cassé ". Les murs d'un blanc éclatant contrastent avec la couleur sombre des poutres. Certaines de ces maisons datant des XVIIIème et XIXème siècles possèdent également des vitres bombées qui permettent de regarder à l'extérieur sans se faire voir. Cette mode, datant du XIXème siècle vient vraisemblablement du pays de Bade et de ce fait, on parle de « vitres de Kehl ». De nombreux géraniums égaient les façades d’un rouge éclatant. Dommage, ce matin, le soleil est un peu frileux. Comme dans la plupart des villages de ce coin de l’Alsace, les habitants sont ici en majorité protestants. Le temple occupe donc une place de choix sur une petite butte. A la nef peinte en blanc s’ajoute un clocher en grès des Vosges. Le temple a été édifié en 1757 alors que le clocher date de 1874 remplaçant un clocheton en pan de bois. Notre visite est jalonnée par des puits à balanciers, appelés ici Schwenkelbrunne. Nous croisons une colonne de véhicules militaires pétaradant et fumant ! Ils reviennent sûrement du Fort de Schoenenbourg, ouvrage sur la ligne Maginot, à quelques kilomètres de là. Petit tour à Seebach presque complètement reconstruit entre 1750 et 1820 et repeuplé par les deux confessions : les protestants au nord de la mairie, les catholiques au sud. Ici aussi mais dans une mesure moindre, les maisons sont blanches avec des colombages sombres. Quelques unes ont également des fenêtres de Kehl. Les toits sont couverts de tuiles plates dites « queue de castor » (biberschwanz). La mairie de 1731 présente un poteau cornier torsadé censé éloigner la foudre. Après un petit tour à Hatten, à l’aire de service située devant le musée de l’Abri, nous décidons d’aller directement à Kutzenhausen. Nous voulons en effet consacrer notre après-midi à la visite de la Maison Rurale de l’Outre Forêt qui permet de découvrir la vie paysanne de la région de 1920 à 1950. Il n’y a guère de place autour du musée et nous nous installons provisoirement sur le petit parking à côté du temple pour déjeuner sur une surface à peu près plane. Le musée n’ouvre qu’à 14h et nous prenons notre temps. Le ciel s’est obscurci. Rien avoir avec le temps magnifique d’hier ! Alors que nous dégustons tranquillement notre petit café, la responsable du musée nous demande de nous garer ailleurs. Nous occupons en effet trois places de voiture mais vu la longueur du véhicule, pas possible de faire mieux. Elle nous invite à nous mettre le long du musée, devant le portail. Mais ce n’est toujours pas bon ! En fin d’après-midi, la maison rurale accueille en effet René Eglès, chanteur alsacien, qui a besoin d’entrer dans la cour. Tant pis, Cigalon ne bouge pas et lorsque Eglès se présentera, il sera encore bien temps pour le déplacer ! En 1988, le musée de la Maison Rurale de l'Outre-Forêt s’installe dans un corps de ferme typique de la région du XVIIIème siècle. La visite commence dans la grange qui abrite une exposition temporaire sur l’école et où l’on peut s’imprégner de l’ambiance d’une salle de classe des années trente. Les bérets, les tabliers suspendus, les sabots rangés les uns à côté des autres sur une étagère, les gamelles réchauffant tout doucement sur le poêle, voici des images que nous n’avons pas connues. Par contre, les vieux bancs gravés et les porte-plume colorés qu’on trempait dans l’encrier, voilà des souvenirs qui résonnent en nous. Dans la salle à côté, une exposition de poteries en grès à sel de Betschdorf présente des récipients pour tous les usages. Les cruches à col étroit servaient à stocker des liquides comme le schnaps, l’huile de noix ou de colza. Les cruches grises étaient essentiellement décorées pour les occasions particulières. C’est en cuisant que les dessins d’un bleu typique de Betschdorf devenaient brillants. Lorsque la température de la cuisson était insuffisante, le sel ne vitrifiait pas les pièces et la poterie restait terne. Traditionnel cadeau utile de mariage, la cruche de mariage est richement décorée, souvent personnalisée et datée. Les motifs sont adaptés à la circonstance. Le coeur symbole de l’amour, le cerf synonyme de virilité malgré ses cornes et de prospérité, l’oiseau charmant messager de l’amour, le brin de romarin signifiant la pureté et parfois le chien suggérant la fidélité. Les bouteilles dites moines (Walzekruej), de forme cylindrique et à col étroit, avec une anse pour la plupart facilitaient le transport de boissons notamment lors du travail aux champs. Les plus petites, remplies de sable, pouvaient servir de chaufferettes. Les cruches de distillation, imposantes et ventrues, à col large et deux anses, accompagnées de leur passoire, permettraient de recueillir l’eau de vie. Pour obtenir un grès au sel par vitrification, une argile qu’on trouve dans la forêt de Haguenau et contenant près de 85% de silice est nécessaire. Avant d’être façonnée, l’argile doit être travaillée, malaxée pour la rendre plus homogène mais aussi pour la mélanger à d’autres argiles comme le kaolin pour éviter les risques d’éclatement. La cuisson occupe 5 à 6 personnes pendant 4 jours. La température du four monte à 250°. Lorsque la cuisson est bonne, on passe au vernissage : 300 à 400 kg de sel sont versés dans le four. A l’intérieur, le sodium contenu dans le sel se combine à la silice de l’argile pour former une pellicule de silicate dure comme du verre qui se dépose à l’intérieur et à l’extérieur des pots, opération qui rend le grès étanche et propre à la consommation d’aliments. C’est la différence avec la poterie de Soufflenheim. Le four doit refroidir lentement pour éviter la casse. http://videos.tf1.fr/jt-13h/la-poterie-alsacienne-est-tres-prisee-par-les-touristes-4710793.html Nous revenons dans la cour. Un poteau d’angle provient d’une maison de Soultz sous forêt. Il s’agit d’un poteau cornier d’un étage avec sa date de construction (1718) et une vis sans fin, appelée « Fierschrubé » en alsacien. La poutre angulaire symbolisait à la fois la propriété et le soutien de la demeure paysanne. Plus loin, se trouvent les dépendances agricoles, avec l’étable, l’écurie, la grange, la porcherie, la basse-cour ou encore les clapiers. Elles rappellent l’importance des animaux à la ferme. On y découvre aussi des toilettes d’époque, une distillerie, une forge et même une collection de tapettes à souris. Nous terminons la visite par la maison d’habitation qui pouvait abriter jusqu’à quatre générations. La «Gross’Stub», pièce à vivre est désignée aujourd’hui sous le terme de «séjour». On s’y retrouve pour les veillées ou pour accueillir les amis. Un poêle en fonte prodigue la chaleur en hiver. Dans l’angle extérieur, entre deux fenêtres, le « coin du Bon Dieu » (Hergotswinkel) est occupé par une petite armoire à encoignure où l’on rangeait les papiers importants, la Bible et la bouteille de snaps. C’est là aussi que se tenait le maître de maison. Il pouvait ainsi surveiller ce qui se passait à la fois dans la cour et dans la rue. Cet endroit correspond à celui du poteau cornier. Dans cette pièce, on trouve un curieux banc où l’on caille le lait. L’alcôve tient lieu de chambre avec ses deux lits. Au même étage, la chambre des aînés servait à la fois de chambre à coucher et de pièce à vivre. Dans la cuisine, on trouve toutes sortes d’objets très hétéroclites. Traditionnellement située du côté opposé à l'entrée de la maison, elle est le domaine réservé des femmes qui oeuvraient là quotidiennement pour la préparation des repas, la transformation et la conservation des aliments, l’élaboration des bouillies et de la pâtée pour les animaux. L’évier est encore en pierre et son écoulement aboutit directement dans la cour. C’est là que toute la maisonnée faisait une toilette des plus sommaires ! L’eau du puits était utilisée parcimonieusement. L’eau courante n’a été mise en place dans le village qu’en 1970. Le vaisselier, un « Omer » de XVIIIème siècle, simple et rustique, se dresse en face de la cuisinière des années 1930. L’étagère accueille poêles, cocottes et marmites en terre vernissée, en fonte, en tôle. Auparavant la cuisine était équipée par une cuisinière à feu ouvert attesté par la hotte-avaloir bien visible au 1er étage ainsi que par l’ouverture dans le plafond. A côté de la cuisine, la souillarde, ou arrière-cuisine, est l’endroit où l’on rangeait les centrifugeuses, barattes à beurre, les pots en grès de Betschdorf utilisés pour la conservation des aliments. Un autre lieu de conservation est la cave, où l’on stocke pour l’hiver les denrées produites à la ferme pendant la belle saison.
Il est temps de rentrer mais auparavant nous nous arrêtons à Woerth pour manger une glace et emporter un gros vacherin pour la semaine prochaine. L’avantage du camping-car !